Il était midi lorsque Sam Hamad se
résigna enfin à sortir du Mondrian South Beach Hotel pour se rendre à la
plage. Depuis leur arrivée en Floride,
il était demeuré sourd à tous les arguments que Marie-Claude lui avait soumis
pour le convaincre de prendre un peu de soleil.
Ce n’est qu’en lui faisant miroiter la perspective d’une pipe
phénoménale à son retour que Sam consentit à enfiler son maillot et à faire une
petite promenade sur la jetée pendant que Marie-Claude achèverait de préparer
les crevettes sautées à la moutarde.
On était en plein spring break et les croupes huilées des
adolescentes s'échelonnaient à l’infini jusqu’à la mer. Aussi Sam n’avait-il pas fait trois pas qu’il
se reprocha de ne pas avoir emporté avec lui un maillot plus large : il
aurait dû prévoir le coup, mais il était trop tard, une érection dramatique
saillait à travers le motif tropical du tissu et Sam n’eut d’autre choix que de
nouer la serviette à sa taille afin de masquer la protubérance.
Il redoutait tout
particulièrement les agentes provocatrices de l’UPAC. Un peu plus tôt ce matin, tandis qu’il achevait de se raser, il avait confié son inquiétude à Marie-Claude.
- Je te le dis : y a trop de filles en bikini
qui me font des gros sourires, c’est pas normal.
- Aaah, tu vas pas recommencer avec ça, dit
Marie-Claude qui se relevait de son caca du matin, t'es complètement parano...L’UPAC, c’est pas le KGB,
ok?Alors arrête de voir des espions
partout pis viens ici me crémer le bas du dos…
- Pas des espions.Des espionnes.
- Ben noooon, dit Marie-Claude en lui tapotant la
joue, t’es tout simplement irrésistible, c’est ça l’affaire, mon beau couscous
d’amour…
- Toutounette, ça sert à rien de se raconter des
histoires.Je sais de quoi j’ai l’air. Tu veux je te dise de quoi j’ai l’air?J’ai l’air d’un fucking lama reject qui se fait courir après pis
cracher dessus par les autres lamas qui crient: rejecto! rejecto!* parce que je ressemble au produit d’un
croisement entre les sourcils qui se touchent de Frida Kalho et les babines qui
se touchent pas de…
- Ta yeule, mon chéri. Arrête de dire des niaiseries pis crème-moi le
cul.
Lorsque Sam dénoua sa serviette
et l’étendit sur le sable, l’éclat de la mer le fit pleurer. À cet instant, il n’aurait pas été théoriquement
impossible que la troisième version du célèbre poème de Rimbaud lui revienne à
l’esprit :
Elle est retrouvée!
Quoi? l’éternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil
Mais Sam n’avait jamais lu
Rimbaud, il n’en avait même jamais entendu parler, ce qui suffisait déjà à
faire de son existence quelque chose de plus ou moins raté, mais cela, Sam
l’ignorait, et c’est pourquoi il opta plutôt pour écraser son érection en se
couchant sur le ventre, dos à la mer, et observer en gémissant cette procession
intarissable de jeunes divinités ruisselantes, abruties de narcissisme, et dont
les mains sans cesse couraient des hanches aux seins, remontaient du cul aux
épaules, glissaient du ventre aux cuisses avec la calme indifférence des reines
qui se fondent à leur propre mirage, décollent les lèvres lorsqu’elles regardent
au loin, et ne maîtrisent qu’à moitié la formule des crèmes qui font gonfler
les courbes, l’équation de l’alcool qui défonce en douceur et les textos filant Dieu sait où à travers le système de messagerie nocturne.
Désespéré, Sam chercha pendant
quelques instants à couper le circuit de communication érotique qui le liait
malgré lui à ses entours. Pour ce faire,
il enfonça le visage dans sa serviette et se boucha les oreilles, mais ce fut
pire : prisonnier de sa propre vacuité, sa tête se réduisait à une caisse
de résonance propice à la réverbération de toutes les injures dont Philippe
l’avait abreuvé au lendemain de l’enquête ouverte par l’UPAC. La seule perspective d’être désormais privé
de sa limousine et des vieux films de Fifi Brindacier que son chauffeur lui
refilait en douce entre deux conseils ministériels le décrissait au possible.
Mais lorsque Sam releva la tête, tout
juste devant lui, il vit une latino grassouillette qui gisait sur le dos,
jambes écartées, ses pieds reposant presque de chaque côté de la tête de Sam,
de sorte qu’il pouvait sans effort aucun, et de très près, observer la courroie
du string qui cinglait la noune fraîchement épilée de la jeune fille. Sam ne lui donnait pas plus de 19 ans et il
ne s’accordait lui-même pas plus de 19 secondes avant de jaculer fuck all s’il
persistait à regarder droit devant.
Et pourquoi pas? Ne pouvait-il s’accorder cette grâce mineure
avant la chute? Politiquement foutu
comme il l’était, autant en profiter : on ne lui consentirait pas de sitôt
une vue aussi imprenable sur la Chose des Choses. Derrière lui, l’océan bouillonnait à feu
doux, et il avait la sensation intéroceptive de sa bite forant de quelques
centimètres supplémentaires le sable sous la serviette. Personne ne se douterait de rien. Le compte à rebours était salement amorcé.
Elle est retrouvée!
Quoi?
Ben tsé la patente que j’avais achetée au sex
shop sur Sainte-Catherine…
Somnolente, la latino plia
légèrement les genoux, sa fente se creusa et la corde de son string, déjà
bandée à se rompre, mordit dans les chairs au point que les grandes lèvres jaillirent
de la dépression pubienne et se rapprochèrent jusqu’à se toucher : encore
un peu et elles s’entredévoreraient.
Ce fut plus fort que lui : à
son grand étonnement, Sam tendit le bras, glissa deux doigts sous le string, le
tira à lui (le temps de se dire que si tout était possible à Dieu, cela ne l’étaitcertainementpas) pour ensuite le
relâcher et le laisser claquer sur le wagin.
La fille hurla. En moins de deux,
quatre garçons sortis de nulle part se jetèrent sur Sam, le rouèrent de coups
et lui crachèrent à la tête.
Il lui
fallut courir longtemps sur la plage avant de semer ses poursuivants. Lorsqu’il pénétra enfin, à bout de souffle,
dans le hall de l’hôtel, il recevait encore l’écho du cri des garçons : rejecto! rejecto! *
Quand Marie-Claude lui demanda ce
qui s’était passé, Sam se contenta de lui dire qu’il était tombé sur une agente
provocatrice de l’UPAC, après quoi il s’empara de la dernière édition du magazine La Semaine et s’enferma dans la salle
de bain pour n’en plus jamais ressortir.
(Aux dernières nouvelles, Sam était
de retour au Québec. On en conclut que
le vol Miami-Montréal s’est déroulé sans encombre et que, de ce point de vue, le
président du Conseil du trésor a été plus chanceux que Jean Lapierre. D’aucuns diraient que c’est bien dommage.)
* En espagnol, le mot exact serait plutôt rechazar, mais nous lui avons préféré rejecto compte tenu de son affinité sémantique avec le latin rejicere qui signifie
littéralement «courir après le reject en le traitant de reject».
Commençons tout simplement par vous
sauver la vie.
Si par chance ou par malheur – c’est
selon, c’est pareil – vous vous trouvez sur le chemin de Kassandre Kodiak, ne
l’appelez jamais par ses initiales. Disons qu’elle n’aime pas ça. Vraiment pas.
Une fille qui l’interpelle par son acronyme, même affectueusement, ne le fait
qu’une fois. Au son funeste de ces deux consonnes, Kassandre Kodiak sourit
d’abord, visse son regard métallique de Husky dans celui cotonneux de la
pauvresse, l’attire sans bouger contre elle et lui entrouvre les lèvres avec le
pouce et l’index. Le geste est aussi exact que d’une délicatesse exquise. Puis,
lentement, elle introduit sa langue dans la bouche de la petite conne. Cette
langue est aussi souple, aussi étonnante dans ses mouvements qu’un poème dans
ses mots, aussi puissante et nerveuse qu’une chienne qui creuse. L’idiote jute
de partout à la fois – à la vulve, à l’aisselle, à la gorge, à la racine des
cheveux – et ses jambes flageolent sous son corps devenu flaque. Cette noyade
délicieuse lui paraît infinie, océanique, plus profonde et sombre que toutes
ses expériences sexuelles antérieures. Alors qu’un orgasme effrayant semble se
lever dans les nerfs de la gourde, Kassandre Kodiak aspire soudain d’un seul
coup sec tout l’air du corps transi. Les poumons se vident, s’affaisent, les
bronches s’embrochent l’une sur l’autre, les organes s’aplatissent, les os
s’émiettent, les veines claquent, les yeux s’assèchent comme du silex qui
éclate. Bientôt, il ne reste par terre qu’une grande baudruche, rosâtre,
dégonflée, mi-cuir, mi-caoutchouc. Kassandre Kodiak la plie en quatre et
l’emporte sous le bras. Elle s’en servira les soirs d’hiver comme couverture en
lisant à l’envers – c’est un exercice qu’elle adore – les livres de recettes de
Ricardo.
Si vous êtes un mâle – une telle chose
a-t-elle déjà existé? – ce sera pire. Supposons que vous êtes ce type avec une
queue flapie dans son caleçon. Votre démarche est une pavane qui se veut
gaillarde avec ces hanches comme deux mains ouvertes pour prendre. Le monde est
pour vous une huître à forcer et à sucer, et votre trompe ne sera jamais assez
grosse. Vous éructez KaKa viens icitte
vouar mononcle! Et Kassandre Kodiak est tout de suite là, devant vous. Quel
ravissement que vos simples mots se révèlent performatifs! Kassandre Kodiak ne
cesse de lorgner votre braguette. C’est normal n’est-ce pas? Ses mains glissent
sur votre ventre que vous rentrez maladroitement. Ça y est, elle vous dézippe
et sort de son cocon la chenille qui se veut papillon. Vous êtes déjà prêt à
vous envoler. Trop tard, elle tire d’un coup sec sur votre queue qui vient avec
tout le reste de votre peau. Eunuque instantané, vous n’avez jamais été aussi
nu, aussi fragile, et votre corps d’écorché anatomique patauge dans son sang
qui se fige. Kassandre Kodiak vous fait alors la bise, s’essuie la joue avec un
petit kleenex cheap volé chez Dollorama et vous le laisse en guise d’adieu.
1.«J’ai jeté son pénis aux poissons»
Je ne me rappelle plus
du nom qu’on me donnait quand j’étais petite.
Je ne prenais pas le souffle comme je le prends aujourd’hui : je le
rendais le soir lorsque l’amant de ma salope de maman faisait irruption dans ma
chambre, je rendais le souffle chaque soir et pour toujours.
Ma salope de maman
pleurait derrière la porte verrouillée de la chambre. Dans mon souvenir, l’amant était dodu et son
pipi était mou. Il ne me touchait
pas. Il tournait autour de mon lit en
disant des choses qui ne faisaient sens que sur le bord de ses lèvres, jamais
au-delà.
Des choses comme :
Atawééé léminenne, atiproutte ébidenne.
À n’y rien comprendre, je le fixais de mes yeux ronds, à ne rien dire,
j’entrouvrais les lèvres. Je penchais la
tête dans la pénombre, et mes cheveux – que j’avais déjà très longs – me
voilaient le côté gauche du visage, celui qui n’était pas fait pour recevoir la
lumière des dieux morts.
L’amant dodu se
torturait en tournant autour de mon lit, mais il ne me touchait pas. Il conservait sa chemise de comptable et sa
cravate carottée; son pantalon et son slip baissés faisaient un nœud autour de
ses chevilles, et c’est pourquoi il se déplaçait toujours à petits pas, un peu
comme les prisonniers dans les vieux romans scrappés de Victor Hugo.
Un soir que ma salope
de maman hurlait derrière la porte verrouillée, l’amant tournait encore autour
de mon lit. Il était tout congestionné
de la tête et il tenait à la main une patente qui dégouttait par terre. Ce fut la seule fois où il me dit quelque
chose qui faisait sens. Il dit :
C’est sans espoir. Il dit encore :
Il faudrait que tu sois plus gentille avec ta maman.
Il a déposé son pénis
coupé sur le bord de mon lit, puis il est parti par en arrière, ça a fait
«boum» au milieu de ma chambre, et je crois bien que c’est ce soir-là que ma
salope de maman a déboulé les escaliers (malheureusement elle ne s’est rien
cassée). Le téléphone sonnait de
partout. Le pénis de l’amant dodu faisait
des bulles au pied de mon lit. Je voyais
les choses pour ce qu’elles étaient, rien de plus.
Le lendemain matin, sur
le chemin de mon école de marde, comme d’habitude j’avais croisé
Jean-Joint. Je lui ai montré le pénis
qui dansait dans ma main comme du Jello aux cerises. Jean-Joint pinça le pénis par le prépuce en
le faisant tourner sous la lumière des dieux morts. Il dit : Hmmm, y a plus grand-chose à
faire avec ça, à part l’enterrer…
(Jean-Joint avait toujours une solution à tout. Mais il avait aussi ses qualités. Par exemple, il collectionnait les BD du
Capitaine America et lisait à voix haute les Illuminations de
Rimbaud -- raison pour laquelle notre maîtresse de marde le détestait, je pense
-- sauf qu’avec ses yeux croches et son esprit à pédales, les passages lus à
haute voix sortaient toujours de façon bizarre, genre : Le piano
établit une madame dans les Alpes. Ou genre : Je suis réellement d’outre-tombe,
et pas de Chateaubriand! Ou genre : Pour ma seule légion
muette comme ces prières de nuit précédant des violences plus fuckées que la
soupe populaire.)
Mais je n’aimais pas
l’idée d’enterrer le pénis de l’amant : je craignais qu’il revienne à la
vie comme les zombies dans les vieux films scrappés de George Romero. Ce matin-là, je ne suis pas allée à
l’école. Je n’avais pas envie de voir ma
maîtresse de marde engueuler Jean-Joint devant toute la classe et lui crier
dans la tête que Nelligan valait mieux que Rimbaud ou le pénis tout ratatin que
je faisais danser dans le creux de ma main.
Alors j’ai piqué par le
bois, j’ai pris le chemin de l’aluminerie, j’ai salué au passage les
travailleurs qui disaient : Ah ben, si c’est pas notre petite va-nu-pieds,
puis je me suis rendue au bord de la rivière et là, j’ai jeté le pénis aux
poissons.
J’avais faim. J’aurais voulu un gros casseau de patates
frites comme ceux de Chez Marie-Canisse.
(Dans ma tête pleine de
dieux morts, je m’approchais de Jésus qui faisait un sermon sur la
montagne. Je me glissais sous sa
jaquette d’hôpital, et je prenais son pénis dans ma bouche. Je prenais tout le souffle que je pouvais, et
à la fin, Jésus disait : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de coke et
de patates frites, car ils seront doucement, c’est çaaa, wouahaaaaastidsibole.)
2. Origines ou l'école des bonnets jaunes
Sachez que Kassandre Kodiak n’a
jamais eu de véritable mère. Non. Pas de swamp
maternelle pour se faire croire qu’on est le têtard qui vient de là, pour
flotter à jamais dans la ridicule nécessité de son être. Ses parents adoptifs,
Claude et Claudette, l’ont trouvée dans une yourte en Mongolie, à l’orée du
désert de Gobi.
Mais c’était plus un rapt qu’une adoption.
Les deux Cloclo, chirurgiens dentaires à leur
retraite, avaient vu Urga de
Mikhalkov à l’Ex-Centris et avaient ressenti dès le générique final l’envie
folle de posséder eux aussi une petite fille mongole qui pianoterait sur un
accordéon en souriant. Ils avaient arpenté les steppes de Bitchig des jours entiers sans rencontrer personne, sinon la
furieuse nudité du vent. Un matin, deux chiens rieurs et enjoués les avaient
conduits à une toute petite yourte. Une enfant de deux ou trois ans y
mâchonnait du fromage de jument en jouant avec des osselets qu’elle lançait et
relançait dans les airs pour tenter de les faire retomber sur sa tête. Les deux
Cloclo s’étaient assis en indien devant l’enfant et avaient eu tout de suite l’impression
que c’étaient eux, bel et bien eux, les osselets. Leur cœur cognait et cognait
comme à une porte qui refusait de s’ouvrir. L’enfant semblait tout simplement
nier leur présence et relançait les deux osselets. Elle était tellement belle –
de longs cheveux noirs d’encre de Chine, des pommettes saillantes qui
appelaient la morsure, des yeux bleus comme une glace vive pour perdre pied et
des lèvres gonflées de jeune sang. Les deux Cloclo avaient attendu toute la
journée que la mère de l’enfant revienne, qu’un membre de la famille se pointe.
Rien. En Mongolie, il n’y avait pratiquement personne. On disait que c’était le
pays au-dessus duquel tous les vents et les dieux du monde venaient mourir. Que
son ciel presque toujours purement bleu distillait la lumière des dieux morts.
D’ailleurs, la seule religion mongole était celle de l’école des bonnets
jaunes, c’est-à-dire celle des bonnets d’âne donnés à tous les dieux aussi
uniques que fous et surtout à leurs prophètes d’une candeur monstrueuse.
Finalement, à la tombée de la nuit,
les deux Cloclo s’étaient convaincu que l’enfant était seule. Donc, disponible.
Donc, à eux. Claudette, qui comme tout bon dentiste gardait toujours sur elle
une ampoule de novocaïne, en avait enduit un mouchoir et fait semblant de moucher
la petite mongole qui s’était endormi les yeux grand ouverts et vides…
Claudette Paré et Claude Parent sont
morts subitement dans le vol Yul 811 qui les ramenait avec leur petite poupée
mongole à Montréal. On ne sait pas comment ni de quoi. Pas de sang, pas de
violence, qu’une sérénité un peu exagérée effaçant les traits du visage.
L’enfant s’est laissé glisser sous les sièges A21 et B21 après avoir laissé
dans la paume de chacun des Cloclo un osselet. Ce sont les hommes de ménage et
les bagagistes de l’aéroport de Dorval qui l’ont retrouvée. Grecs larmoyants de
Parc-Ex, Gaspésiens inconsolables de Hochelag, Haïtiens stoned de Mourial-mort,
ils ont tout de suite voulu la garder comme mascotte. Tout le monde partait
tout le temps dans cet aéroport de marde! Que quelqu’un reste avec eux enfin!
On la nourrirait de frites et de coke. On lui trouverait de belles petites
robes d’organdi qu’elle porterait avec les grosses bottes de Gaston, des Kodiak
Renegade. On la prénommerait Kassandre, la plus belle des femmes, la lumière de
l’avenir, celle qui se refuserait à tous les Apollon en costards qui font la
piasse en coupant des postes! On lui apprendrait le joual, le créole et le grec
démotique…
Mais ça n’a pas duré longtemps la
grosse famille recomposée aux 24 mains pleines de cambouis et de ketchup, aux
douze bouches pleines de chialage et d’amour…Gilberte Paré, sœur de feu
Claudette, est venue réclamer la petite mongole avec la gente policière et des
papiers de notaire 8 ½ par 14. Elle a dit à la petite : Kassandre Kodiak, c’est même pas un vrai
nom, ça! Elle a dit : tu vas
t’appeler maintenant Parise Paré, c’est plus normal et féminin, et tu vas
apprendre le beau parler français!
La petite mongole, toujours en tutu
rose et en bottes à cap d’acier, a suivi avec une belle indifférence
d’aristocrate sa nouvelle maman salope jusqu’à Sept-Îles. Là, la grosse plotte à marde – dixit les
Sept-iliens -, aux ongles rose nanane, aux faux cils comme des araignées, à la
poitrine plus grosse que l’Asie, tenait salon de coiffure et de bronzage entre
l’aluminerie Alouette et la rivière Moisie. Oui, ça ressemblait un peu à la
Mongolie, mais en nettement plus kétaine…
3. «Tu veux voir quelque chose de vraiment cool?»
Après la mort de
l’amant, j’ai cessé de dormir la nuit.
Je tenais en réserve des cauchemars que je ne faisais plus. Le jour, c’est la réalité qui venait me
visiter en rêve, mais je ne démêlais pas encore le vent qui soulevait mes
cheveux et les pierres qui me brûlaient les pieds quand je courais à la grange
pour retrouver Jean-Joint et Marie-Canisse.
Ce matin-là, Pierrot et
les frères Ponce avaient entouré Jean-Joint avec leurs bicyclettes. Ils lui donnaient des bines en crachant dans
ses lunettes.
- Sors la carte de Wayne Gretzky,
disait Pierrot. Je sais que tu l’as.
Si Jean-Joint se concentrait
si fort pour ne pas pleurer, c’était à cause de moi. Je lui avais fait promettre de ne jamais
pleurer quand la bande à Pierrot le coinçait contre le mur de la grange ou
l’attendait au tournant de la rue de Banville.
Je lui disais toujours : fais le mort, dis rien, mais pleure pas.
- Donne la carte sinon on va encore
péter tes lunettes.
- Un échange, c’est un échange, dit
Jean-Joint.
- J’échange rien avec toi, navet. Han, les gars, qu’on n’échange rien avec lui?
Les frères Ponce se
contentaient de plisser les yeux sous le soleil, mais ils approuvaient, on le
voyait à la façon dont ils arrondissaient le dos en s’appuyant sur le guidon de
leurs bicyclettes.
- Je t’ai donné un Playboy en échange
de la carte de Gretzky, protesta Jean-Joint dont la voix se fêlait de plus en
plus.
- Fuck le Playboy. La fille du centerfold était à chier. Tabarnak, à ressemblait à Julie Soucy. Han, les gars, qu’à ressemblait à Julie
Soucy?
Jean-Joint était sur le
point de craquer, il m’avait repérée sur le chemin de terre et il se rappelait
la promesse qu’il m’avait faite. Alors
il a tenté sa chance et il a détalé, mais ses longues jambes se refusaient à
une coordination soutenue. C’était chaque
fois la même chose : dès que Jean-Joint se mettait à courir, il finissait
invariablement par sauter de côté comme un crabe monté sur un ressort. Les gars l’ont rattrapé en trois coups de
pédales, ils l’ont mis à terre, ils lui ont fait les poches puis ils ont filé
après avoir arraché les pages de son exemplaire des Illuminations.
Alors je suis allée à
lui dans le sable soulevé de ce petit matin de juillet. Pour le consoler, je lui ai cité mon meilleur
Rimbaud – J’ai
embrassé l’aube des palais. Rien ne
bougeait encore au front de l’été, etc. --, mais
Jean-Joint demeurait inconsolable, ses poings pesaient sur ses paupières et ses
pleurs sonnaient comme des bêlements de mort perdus dans une nuée de
maringouins.
Ce jour-là, pour la
première fois, j’ai pris le réel dans mes cheveux que j’avais longs jusqu’aux chevilles,
j’ai vidé les poches de ma robe, j’ai aligné les jujubes et les os de poulet
dans la poussière du chemin, je me suis accroupie et j’ai pissé sur le tout en
saisissant la main molle et moite de Jean-Joint.
- Veux-tu entendre ce que je vois? Voir ce que j’entends? Veux-tu toucher avec ta langue ce que je
goûte quand j’ouvre les yeux dans le
noir?
Et mes yeux ont roulé
vers le fond, je me suis perdue de vue dans les couleurs, les dieux morts
fourraient dans ma tête renversée et je montais en épilepsie en tordant ma jupe
lestée de pisse. Les jujubes et les os
de poulets ruisselaient, la terre se gonflait de veinules noires sous la coulée,
et j’ai chanté pour lui, j’ai chanté pour les lunettes pétées de Jean-Joint et
pour les pages des Illuminations
que le vent refoulait dans la poussière
des bicyclettes disparues.
Mais je n’ai rien
vu. Ma voyance s’arrêtait au soleil qui
faisait l’épais à la lisière de la forêt.
Je ne voyais rien, mais je voulais très fort, et au fond de cette
volonté aveugle, j’entendais le cri de trois garçons qui roulaient dans les
pales tournantes d’une moissonneuse.
Jean-Joint reniflait sa
morve en repoussant du bout du pied les jujubes ensablés.
- C’est niaiseux ce que t’as fait. J’ai rien vu, j’ai rien entendu, j’ai rien
touché. J’ai mal partout pis y s’est
rien passé.
- Jean-Joint?
- Quoi?
- Tu veux voir quelque chose de
vraiment cool?
Alors j’ai relevé ma robe
et je l’ai fait passer par-dessus ma tête.
Jean-Joint a ouvert la bouche, il l’a refermée le temps d’avaler un peu
de sang, puis il a rouvert la bouche. Il
n’avait pas fait cette tête-là depuis le jour où il s’était risqué dans le
vestiaire des filles et qu’il avait surpris Julie Soucy en train de se savonner
le cul sous la douche.
4. Les robes qui courent vite
Kassandre
Kodiak est morte pendant douze ans à Sept-Îles. Douze ans à regarder fixement
dans le noir les murs de sa chambre et à imaginer qu’ils explosent avec leurs peintures à numéros et leurs
vieilles poupées de plâtre pendouillant à des crochets. Douze ans à ressusciter
aux trois jours et à se sauver à toutes jambes pour ne pas que sa fausse maman
salope lui tonde les cheveux – longs, toujours plus longs ses cheveux, en simple souvenir d’elle-même ou des dieux
morts qui se berçaient dans ses nattes. Douze ans à se faire japper dessus reviens icitte maudite Parise Paré!, à
se faire écrapoutir dans la face des bigoudis chauffants, à balayer les cheveux
coupés des grosses madames sur le prélart brûlé par les Mark Ten. Douze ans à dormir tout le long de l’après-midi à l’école
en attendant de redevenir vivante. Même le décès de l’amant de sa fausse mère à
la suite de son autocastration avait à peine divertit le cours des labeurs et
des jours sept-iliens.
Heureusement
qu’il y avait eu Marie-Canisse, avec son parfum d’aisselles au vinaigre et de
patates frites dans l’huile de pinottes, avec ses fines jambes aux genoux
cagneux de garçon, avec ses yeux aussi noirs que ses ongles. Heureusement qu’il
y avait eu Jean-Joint, avec sa petite face de poète malingre, avec ses pieds en
Y, ses mains de crapaud et ses épaules si délicates.
Heureusement
qu’Il y avait eu Julie Soucy.
Aussi
grassette que blondinette, Juju avait des grands yeux comme dans les mangas et
les plus petites mains du monde, un cul universel qui rebondissait comme une superball et une vraie paire de totons -
comme ça se pouvait pas chez une fille aux onze ans d’une candeur si écœurante. Les garçons de l’école l’achalaient, lui criaient des noms pas fins, puis
allaient se masturber en gang au bord de la rivière en chuchotant son nom. Les
filles, elles, étaient juste malades de jalousie, comme d’habitude. Mais pas
Kassandre Kodiak. Elle avait fait connaissance avec Juju au parc. L’angelote
plantureuse aimait cracher sur les pissenlits pour faire reluire leur belle
couleur jaune au soleil. Tout était tellement vieux gris et brun morne sur la
Côte Nord, il fallait bien que quelqu’un s’occupe des petites beautés
possibles. Kassandre Kodiak avait tout de suite trouvé ça aussi ridicule que
follement cute. Et avait invité tout
de go la Juju à venir jouer à essayer des robes dans sa chambre pendant que la
grosse Gilberte frisait et défrisait trois Gisèle et deux Mimi en discutant de
l’homosexualité si triste de Roch Voisine. Évidemment, Juju n’arrivait pas à
enfiler les belles robes de la filiforme princesse de Mongolie. Mais c’était
l’occasion rêvée de la voir comme ça presque toute nue dans ses bobettes Hello Kitty.
Ses totons semblaient être deux grosses boules de Crisco cru, couronnées d’une
petite fraise pâle et frileuse. Et Kassandre avait voulu tout de suite goûté à
ça. Entre deux léchages et un mordillement, Juju lui avait murmuré est-ce que ça veut dire que t’es mon amie?
Kassandre n’avait d’abord rien répondu en pensant qu’elle avait un plan
beaucoup plus puissant que la trop molle amitié pour sa Juju. En regardant les
seins de la Soucy reluire sous la patine de sa salive, Kassandre lui avait
finalement dit : tu sais, Julie,
c’est bien beau des robes, mais c’est
pas ça qui est le plus important, il faut que la robe te laisse libre, laisse
tes jambes nues courir le plus vite possible, plus vite que les garçons tout
pognés dans leurs jeans, il nous faut des robes qui courent vite.
Dès le
lendemain et presque tous les jours suivants de ce long été qui commençait,
Kassandre devint le coach d’entraînement de Julie Soucy. Les deux filles
mettaient leur plus belle robe, sans bobette ni soulier, et allaient courir au
parc. Kassandre plantait Julie devant elle, la regardait longuement dans les
yeux et lui disait toujours la même chose : Fille, c’est pas parce que t’as des totons qu’il faut que tu sois
molle! C’était le signal. Elles se mettaient à courir comme des folles, à
rire comme des folles, à faire des grimaces de folles. Elles tentaient de
rattraper le vent, de dépasser leur ombre, d’être tellement rapides que même le
soleil n’arriverait pas à faire bronzer leur peau. Enfin, elles se laissaient
tomber au bord de l’étang aux canards, la sueur heureuse, le sang aux joues,
les pieds verdâtres d’avoir foulé tous les gazons. Là, Kassandre sortait de son
tablier de robe un tube de rouge Ultragloss
qu’elle avait piqué à sa coiffeuse de fausse mère. C’était la récompense. Les
filles s’en foutaient plein la bouche et se pratiquaient à frencher de longues
pierres plates auxquelles elles donnaient des noms comme Kevin, Arthur ou
Mickey.
Un beau
matin de juillet, Kassandre avait dit à Julie qu’elles ne courraient pas aujourd’hui.
Il s’était passé quelque chose hier à la grange. Jean-Joint s’était fait donner
une volée par Pierrot et les frères Ponce. Il fallait le venger. Maintenant. Et
c’était une mission pour les robes qui courent vite! Julie était bien d’accord,
elle aimait bien Jean-Joint avec ses yeux croches qui te regardaient sans
vraiment te regarder – c’était moins gênant comme ça. Kassandre avait deux
choses dans les mains : un paquet de gommes Graperoo mauves et un tube de novocaïne,
seul souvenir qu’elle avait gardé des deux dentistes qui l’avaient kidnappée en
Mongolie. Elle avait alors fourré chacune des six gommes avec une bonne dose de
drogue. Et les filles s’étaient précipitées vers la vieille grange désaffectée
jouxtant la terre des Soucy.
Évidemment,
les trois gars étaient là à niaiser comme d’habitude, à se donner des bines, à
se pogner les fesses en se traitant de tapettes, à fumer des cigarettes de
paille roulée dans le papier des circulaires du Super C. Les gars se mirent à ricaner en voyant les filles arriver
à la grange et à leur pousser des jokes poches de plottes. Kassandre dit sans
préambule que Jean-Joint les envoyaient ici en émissaires de paix et tendit la
main. Pierrot lui prit le paquet de gommes en marmonnant entre ses dents : tu diras à Jean-Joint qu’on veut des
Graperoo à chaque jour, sinon il peut déjà commencer à s’arracher les dents
lui-même. Pierrot et les frères Ponce engouffrèrent d’un seul coup tout le
paquet de gommes. Ils mâchèrent d’abord à toute vitesse comme des petits
carnassiers, puis ensuite lentement, encore plus lentement comme des vaches.
Bientôt, leurs yeux se fermèrent comme ceux de la Pâquerette des Soucy quand il
y avait trop de soleil et de mouches. Kassandre dit alors à Julie d’aller chercher
la brouette de son père, juste de l’autre côté du chemin de rang. Quand Julie
revint avec l’engin, Kassandre avait attaché au cou des trois gars la même
petite pancarte avec dessus une phrase tirée des Illuminations de Rimbaud :
QUE J’AI RÉALISÉ TOUS
VOS SOUVENIRS, - QUE JE SOIS CELLE QUI SAIT VOUS GARROTER, - JE VOUS ÉTOUFFERAI.
Les
filles hissèrent les trois corps endormis dans la vieille brouette rouillée et
allèrent les domper en plein milieu du grand champ de foin des Soucy. Au loin,
la moissonneuse du père de Julie faisait tourner ses grandes pales tranchantes.
5. Se couler incognito dans la salive du dieu vivant
Ma salope de maman m’avait immédiatement saisie aux cheveux quand
j’étais entrée dans le salon de coiffure en compagnie de Julie. Elle s’était jetée sur moi en criant et me
brandissait sous le nez une feuille toute chiffonnée pendant que Paul Bédard,
la grosse police du village, suait des lèvres en tétant un cigare éteint.
- Parise
Paré, petite souillonne, tu vas me dire où t’étais passée? Pis c’est quoi ces niaiseries-là, han, c’est
quoi?
- Je
m’appelle pas Parise, je m’appelle Ka…
- Petite
bonjour, tu vas répondre quand je te parle!
Où t’étais?
La grosse police à Bédard s’épongeait le front; du coin de l’œil, il
reluquait Julie qui se tenait toute raide dans un coin et qui se rongeait les ongles en fixant le
plancher.
- Madame
Paré, dit Bédard, du calme… Je veux
juste… Les filles, vous êtes au courant
de ce qui est arrivé à Pierrot pis aux frères Ponce?
Au courant? On ne parlait plus
que de ça dans le village. Depuis que
les médecins-légistes de la grande ville avaient révélé que les garçons avaient
été drogués avant d’être dumpés dans le champ, l’humeur générale était à
l’orage, les mains plongeaient profond dans les poches, les couteaux volaient
bien plus bas que les chauves-souris et on n’en finissait plus de se pitcher des
boulettes de marde de perron en perron. La
moissonneuse du père Simard avait été démantibulée, le père de Marie-Canisse
patrouillait les sentes chaque soir en compagnie du marguillier, et la vieille Pénélope
avait complètement chié ses travaux de broderie : désormais, elle passait le
plus noir de son temps à se bercer sur son balcon en astiquant sa carabine et
en ricanant de façon inquiétante.
Les champs l’avaient eu rough et on n’avait pas fini de rassembler les
morceaux : encore ce matin, la petite de Marcel Beauregard était revenue à
la maison avec un bout d’orteil entre les doigts. C’était la découverte la plus intense depuis
qu’on avait surpris la vache du père Simard en train de mâchouiller ce qui
restait de la tête laiteuse de Francis Ponce.
Ma salope de maman avait beau me tirer la tignasse dans tous les sens,
j’étais crissement contente du résultat.
- Les
filles, reprit le gros lard, vous avez vu Jean-Joint Villeneuve récemment?
- Jean-Joint
a rien à voir là-dedans, pleurnicha Julie!
- Et comment
tu peux savoir ça, ma belle?
- Jean-Joint… Jean-Joint y ferait pas de mal à un
maringouin, bon!
- Ouain, peut-être
ben, mais c’est quand même plate que plus personne l’ait vu depuis la mort des
garçons… Faque ce serait le fun que vous
me disiez où ce qui s’est terré, ce Jean-Joint là, hmm? Je sais que vous êtes
ben chums avec lui…
Bédard tira sur ses culottes en coinçant le cigare entre ses
dents. Il louchait de plus en plus
lourdement en direction de Julie, il fixait la région de l’entre-jambes, là où
la robe avait pris la rosée du soir et se plaquait sur le triangle de la touffe
avec la transparence d’une pellicule de pâte filo.
Il prit la feuille froissée que ma salope de maman m’avait brandie sous
le nez en entrant, il la lissa en la posant sur sa bedaine, puis il me la remit
en disant : On a trouvé ça dans la chambre de Jean-Joint, en-dessous de
son oreiller, est-ce que ça te sonne des cloches?
C’était le dithyrambe que Jean-Joint avait composé au lendemain de la
volée qu’il avait reçue. Il m’avait
demandé de pisser dessus comme je l’avais fait avec les jujubes et les os de
poulet.
Yo Dionysos dealer de Caballero
Qui enveloppe la cabane à Kassandre Kassiopé
Qui calme et décrisse la terre labourée
Quand l’éclair chasse la grêle contagieuse
Aux fenêtres qui picotent des quatre coins
Vire le ciel à l’envers, viens par icitte
Being beauteous
Fais débarquer la chaîne des trois sans dessein
Lâchés lousse entre tes sabots dondains
*
Ce soir-là, peu après l’interrogatoire,
Julie et moi nous étions remises à courir en direction du parc. Le vent et les herbes hautes filaient entre
nos cuisses, fouettaient nos sexes brûlants sous la robe. Marie-Canisse nous attendait à proximité des
balançoires avec un 6-pack de Budweiser qu’elle avait déniché dans le garage de
son père.
La bière était tiède, mais comme il faisait
chaud et que nous ne savions pas boire, très vite la lune atteignit un volume
exceptionnel : elle rayonnait de démence à travers les branches liquéfiées,
et je sus à ce moment-là que je m’offrais toute crue à un dieu que les autres
n’avaient pas entraîné dans leur mort de marde.
Je le compris quand le sexe crasseux de Marie-Canisse rissola dans ma
bouche et que mes doigts montèrent aux fleurs en passant par le cul de Julie.
Je ne savais pas encore que le lendemain
matin, on trouverait Jean-Joint pendu à la poutre de la grange condamnée. Je ne savais pas encore que le gros lard et
les médecins-légistes de la grande ville concluraient à un suicide. Je ne savais pas encore que l’oncle des
frères Ponce avait manigancé ce coup et qu’il allait jouer de tous ses contacts
pour me mettre ça sur le dos.
Je ne savais pas encore que la vieille
Pénélope allait accidentellement s’arracher la moitié de la face à force
d’astiquer sa carabine de marde.
Mais tandis que les cerises sauvages de Julie
se multipliaient au bout de ma langue et que Marie-Canisse se torchait le sexe
avec mes cheveux qui prenaient l’infinité des rumeurs volcaniques, quelque
chose me disait qu’il me faudrait bientôt courir encore, courir si loin et si
vite que ce ne serait plus tout à fait courir.
Fuir était le mot, il avait le goût
métallique du sang qui suinte d’une langue mordue. Avant que ma mère mette le feu à mes cheveux
et que la police mette le fer à mes chevilles, je me coulerais incognito dans
la salive du dieu vivant jusqu’à ce qu’il me recrache dans la bouche d’une
prostituée.