jeudi 28 avril 2016

Le cabinet (feuilleton politique, 14)


Il était midi lorsque Sam Hamad se résigna enfin à sortir du Mondrian South Beach Hotel pour se rendre à la plage.  Depuis leur arrivée en Floride, il était demeuré sourd à tous les arguments que Marie-Claude lui avait soumis pour le convaincre de prendre un peu de soleil.  Ce n’est qu’en lui faisant miroiter la perspective d’une pipe phénoménale à son retour que Sam consentit à enfiler son maillot et à faire une petite promenade sur la jetée pendant que Marie-Claude achèverait de préparer les crevettes sautées à la moutarde.

On était en plein spring break et les croupes huilées des adolescentes s'échelonnaient à l’infini jusqu’à la mer.  Aussi Sam n’avait-il pas fait trois pas qu’il se reprocha de ne pas avoir emporté avec lui un maillot plus large : il aurait dû prévoir le coup, mais il était trop tard, une érection dramatique saillait à travers le motif tropical du tissu et Sam n’eut d’autre choix que de nouer la serviette à sa taille afin de masquer la protubérance.

Il redoutait tout particulièrement les agentes provocatrices de l’UPAC.  Un peu plus tôt ce matin, tandis qu’il achevait de se raser, il avait confié son inquiétude à Marie-Claude.

- Je te le dis : y a trop de filles en bikini qui me font des gros sourires, c’est pas normal.
 Aaah, tu vas pas recommencer avec ça, dit Marie-Claude qui se relevait de son caca du matin, t'es complètement parano...  L’UPAC, c’est pas le KGB, ok?  Alors arrête de voir des espions partout pis viens ici me crémer le bas du dos…
- Pas des espions.  Des espionnes.
- Ben noooon, dit Marie-Claude en lui tapotant la joue, t’es tout simplement irrésistible, c’est ça l’affaire, mon beau couscous d’amour…
- Toutounette, ça sert à rien de se raconter des histoires.  Je sais de quoi j’ai l’air.  Tu veux je te dise de quoi j’ai l’air?  J’ai l’air d’un fucking lama reject qui se fait courir après pis cracher dessus par les autres lamas qui crient: rejecto! rejecto!* parce que je ressemble au produit d’un croisement entre les sourcils qui se touchent de Frida Kalho et les babines qui se touchent pas de…
- Ta yeule, mon chéri.  Arrête de dire des niaiseries pis crème-moi le cul.

Lorsque Sam dénoua sa serviette et l’étendit sur le sable, l’éclat de la mer le fit pleurer.  À cet instant, il n’aurait pas été théoriquement impossible que la troisième version du célèbre poème de Rimbaud lui revienne à l’esprit :

Elle est retrouvée!
Quoi? l’éternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil

Mais Sam n’avait jamais lu Rimbaud, il n’en avait même jamais entendu parler, ce qui suffisait déjà à faire de son existence quelque chose de plus ou moins raté, mais cela, Sam l’ignorait, et c’est pourquoi il opta plutôt pour écraser son érection en se couchant sur le ventre, dos à la mer, et observer en gémissant cette procession intarissable de jeunes divinités ruisselantes, abruties de narcissisme, et dont les mains sans cesse couraient des hanches aux seins, remontaient du cul aux épaules, glissaient du ventre aux cuisses avec la calme indifférence des reines qui se fondent à leur propre mirage, décollent les lèvres lorsqu’elles regardent au loin, et ne maîtrisent qu’à moitié la formule des crèmes qui font gonfler les courbes, l’équation de l’alcool qui défonce en douceur et les textos filant Dieu sait où à travers le système de messagerie nocturne.

Désespéré, Sam chercha pendant quelques instants à couper le circuit de communication érotique qui le liait malgré lui à ses entours.  Pour ce faire, il enfonça le visage dans sa serviette et se boucha les oreilles, mais ce fut pire : prisonnier de sa propre vacuité, sa tête se réduisait à une caisse de résonance propice à la réverbération de toutes les injures dont Philippe l’avait abreuvé au lendemain de l’enquête ouverte par l’UPAC.  La seule perspective d’être désormais privé de sa limousine et des vieux films de Fifi Brindacier que son chauffeur lui refilait en douce entre deux conseils ministériels le décrissait au possible.

Mais lorsque Sam releva la tête, tout juste devant lui, il vit une latino grassouillette qui gisait sur le dos, jambes écartées, ses pieds reposant presque de chaque côté de la tête de Sam, de sorte qu’il pouvait sans effort aucun, et de très près, observer la courroie du string qui cinglait la noune fraîchement épilée de la jeune fille.  Sam ne lui donnait pas plus de 19 ans et il ne s’accordait lui-même pas plus de 19 secondes avant de jaculer fuck all s’il persistait à regarder droit devant.
 
Et pourquoi pas?  Ne pouvait-il s’accorder cette grâce mineure avant la chute?  Politiquement foutu comme il l’était, autant en profiter : on ne lui consentirait pas de sitôt une vue aussi imprenable sur la Chose des Choses.  Derrière lui, l’océan bouillonnait à feu doux, et il avait la sensation intéroceptive de sa bite forant de quelques centimètres supplémentaires le sable sous la serviette.  Personne ne se douterait de rien.  Le compte à rebours était salement amorcé. 

Elle est retrouvée! 
Quoi? 
Ben tsé la patente que j’avais achetée au sex shop sur Sainte-Catherine…

Somnolente, la latino plia légèrement les genoux, sa fente se creusa et la corde de son string, déjà bandée à se rompre, mordit dans les chairs au point que les grandes lèvres jaillirent de la dépression pubienne et se rapprochèrent jusqu’à se toucher : encore un peu et elles s’entredévoreraient.

Ce fut plus fort que lui : à son grand étonnement, Sam tendit le bras, glissa deux doigts sous le string, le tira à lui (le temps de se dire que si tout était possible à Dieu, cela ne l’était certainement pas) pour ensuite le relâcher et le laisser claquer sur le wagin.  La fille hurla.  En moins de deux, quatre garçons sortis de nulle part se jetèrent sur Sam, le rouèrent de coups et lui crachèrent à la tête.  

Il lui fallut courir longtemps sur la plage avant de semer ses poursuivants.  Lorsqu’il pénétra enfin, à bout de souffle, dans le hall de l’hôtel, il recevait encore l’écho du cri des garçons : rejecto! rejecto!  *

Quand Marie-Claude lui demanda ce qui s’était passé, Sam se contenta de lui dire qu’il était tombé sur une agente provocatrice de l’UPAC, après quoi il s’empara de la dernière édition du magazine La Semaine et s’enferma dans la salle de bain pour n’en plus jamais ressortir.

(Aux dernières nouvelles, Sam était de retour au Québec.  On en conclut que le vol Miami-Montréal s’est déroulé sans encombre et que, de ce point de vue, le président du Conseil du trésor a été plus chanceux que Jean Lapierre.  D’aucuns diraient que c’est bien dommage.)



* En espagnol, le mot exact serait plutôt rechazar, mais nous lui avons préféré rejecto compte tenu de son affinité sémantique avec le latin rejicere qui signifie littéralement «courir après le reject en le traitant de reject».





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