dimanche 21 février 2016

Dressages. Carnets de dominance, 4


Elle m'avait dit: Je vous en supplie.

Elle m'avait dit encore: Il me bat presque à chaque jour.

Puis elle m'avait montré les marques, les ecchymoses au bas des reins, la floraison des veines éclatées sur les épaules.  Elle m'avait montré tout ça avant de retirer ses lunettes fumées et de me laisser voir son oeil gauche, et c'est là que j'ai senti monter en moi un Oui dont la noirceur était si dense que sur le coup je l'ai presque confondu avec un Non.  Mais c'était Oui.

Et je lui ai dit Oui, puis j'ai fixé mes conditions: elle devrait se trouver là au moment où je te ferais passer dans mon salon.

Elle a dit: Mais ce que vous me demandez est inconcevable.  Je lui ai répondu qu'elle n'aurait pas à se manifester avant que tu sois ligoté sur la table des éléments, mais qu'elle devrait être là dans la chambre d'à côté.  Être là et fermer sa gueule jusqu'à ce que je lui donne le signal.

Quand j'ai vu la flamme vaciller dans son regard, je me suis rapprochée, j'ai baisé délicatement chacune de ses plaies, je l'ai approuvée des lèvres et de la langue par tout son corps meurtri et j'ai senti son petit sexe frémissant couler entre mes doigts.

Le pacte était scellé.  J'allais transformer cette gourde coincée en prédatrice de haut calibre, je lui enseignerais les cinq premiers théorèmes de la souveraineté et j'allais l'entendre hurler comme une bacchante quand elle se jetterait sur tes débris.




Elle m'avait donné l'adresse du trou à rats où tu te tenais le plus souvent.  Tu n'étais pas très difficile à repérer avec ta veste de motard et tes tatous de troglodyte.  Dès que j'ai fait irruption dans le bar, le silence est venu, il est tombé de très haut et j'ai tout de suite senti la vibration silencieuse des queues qui durcissaient sous les tables.  Je me suis installée au zinc, j'ai pris possession de ton champ visuel, j'ai rapatrié d'un seul coup la totalité de tes angles morts et j'ai saturé ton existence 
de la seule et unique possibilité 
qui te restait: 
me baiser 
au 
plus 
vite.  

Ce n'était pas très compliqué.  Ça ne l'a jamais été de toute façon, mais là, j'avoue que c'en était presque ridicule.  Je n'avais pas fini de compter jusqu'à dix que tu étais déjà assis à mes côtés et que je sentais tes ongles crasseux s'enfoncer dans la chair de mes cuisses.  À quoi bon te reprocher de ne pas avoir pris la peine de m'offrir un verre avant de me caresser?  Dans ta tête de batracien, la séquence du désir tournoyait sans complexe autour des mêmes éclats possessifs: ma bite, ta chatte, ma bite, ton cul, ma bite, ta bouche,
ma bite
ma bite
mon poing
ta gueule.

Ce fut l'affaire de quelques minutes.  Je ne sais même plus si tu as pris le temps de payer ces consommations auxquelles nous avions à peine touché.  Je me rappelle de tes dents douteuses, de ta main refermée autour de mon poignet alors que tu m'entraînais à l'extérieur du bar, de ta voix étrangement fluette pour un crétin de ta corpulence. Je me rappelle de la course en taxi, des escaliers que tu montais derrière moi en m'empoignant les fesses à pleines mains...

Mais je ne sais pas si tu te rappelles toi-même de tous ces détails à présent.

À vrai dire, je doute que tu te rappelles de quoi que ce soit.




Tu as calé ton verre d'un seul trait puis tu as dit: Chérie, je suis pas vraiment du genre qu'on attache.

Je t'ai répondu: Tu as le droit d'avoir peur.  Il n'y a pas de honte à reconnaître que tu as peur puisque c'est la première f...

Puis tu m'as saisie à la gorge.  Tout se passait à peu près comme je l'avais prévu. J'ai fermé les yeux pour que tu n'aies aucun doute, je t'ai laissé t'enivrer de l'illusion que tu étais le maître, alors tu m'as saisie à la gorge et tu m'as plaquée contre le mur.  Je mouillais déjà à l'idée de te dresser à petits feux, de te dépecer en suivant le pointillé des miracles que je retenais, je gémissais en pensant à tout cela, et toi qui croyais que je jouissais 
simplement
sous le poids
de 
ta 
brutalité.  

Je n'avais pas peur.  Tu avais calé le verre de scotch d'un seul trait, le poison était déjà en train de te dévorer sans que tu t'en doutes.  En fait, mon seul souci au moment où ta main se refermait autour de mon cou et que tu me rassurais à demi-mots sur ta virilité indéfectible, mon seul motif d'inquiétude, c'était sa présence dans la pièce d'à côté.  Je l'entendais claquer des dents, j'étais persuadée qu'elle se pissait dessus au seul son de ta voix, et je priais pour qu'elle tienne bon au moins jusqu'au moment où je te ligoterais.

Tu as fini par te calmer.  Tu as dit: J'ai pas peur.  J'ai peur de rien. Me dis plus jamais que j'ai peur, compris, chérie?

J'ai baissé les yeux, j'ai souri douloureusement dans le vague en massant mon cou.  Oui, j'avais compris, bien entendu, tu n'aurais jamais peur de rien, oui, tu étais le maître et moi je
n'étais / ne serais 
jamais
que
ta 
petite
chérie.

Ta bite, ma chatte, ton poing, ma gueule.  Et l'autre qui claquait des dents dans la pièce d'à côté.  Encore un peu et elle allait tout faire rater.

Tu as commencé à tourner autour de la table des éléments, tu as examiné les sangles de cuir clouté en te grattant le cul, et tu as dit: Bon, je fais quoi, là? J'ai répondu: Tu te couches.  Tu te couches et tu me laisses faire.





J'avais bien dosé l'anesthésiant: je le voyais à la façon dont tes paupières tombaient, cette lassitude légère dans tes déplacements, ta voix qui mouillait à marée basse autour des mots, cette nuit américaine qui teintait progressivement tes concepts et qui te préparait à entendre mon chant, à recevoir ma puissance
et à mourir 
sous 
ma 
loi.   

Ma loi, ta gueule.

Alors tu t'es déshabillé, tu t'es couché sur le dos et je t'ai sanglé aux quatre coins de la table.  J'ai dit: Ça ferait une belle photo.  Tu as dit: Me niaise pas, chérie, je peux me détacher comme de rien si je veux. J'ai dit:  Je sais, je disais ça pour rire, détends-toi.

J'ai dit: Tu as une très belle queue.  Tu as dit: Je suis pas le genre qu'on attache.  Tu perds ton temps, ça marchera jamais ton truc.  J'ai dit: Fais-moi confiance.

Je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais dès ce moment, je ne souriais déjà plus. Je conjuguais ta disparition au futur antérieur.  Pour plus de sûreté, j'ai passé une sangle autour de ton cou, je l'ai serrée juste assez pour voir tes dents se crocheter sous la pression.

Puis je suis passée dans la chambre d'à côté.  Ma petite élève n'en menait pas large.  Elle était assise sur le lit: les jambes flageolantes, elle se rongeait les ongles en fixant le plafond.  Alors je me suis penchée sur elle, j'ai mordu ses lèvres pâles et je lui ai sucé la langue jusqu'à ce que ses tremblement s'apaisent, après quoi j'ai ouvert le tiroir de la commode en lui montrant les outils.  Je lui ai dit: Tu prends ce que tu veux, tu y vas comme et quand tu veux, il est tout à toi à présent.  Elle a sangloté, puis elle a dit: Donne-moi encore quelques minutes, juste quelques minutes.





   
Quand je suis revenue dans le salon, tu n'étais pas de très bonne humeur, je te voyais bander les muscles sous les sangles, tes veines saillaient à la jonction du cuir et de la chair, et tu suais comme le porc aggravé que tu étais et que tu serais de toute éternité. Quand je me suis mise à verser la chose sur ta queue, tu as dit: C'est du miel? J'ai répondu: Non c'est
de 
l'
huile.  

Puis je t'ai sucé, j'ai pris ta petite queue corrompue dans ma bouche et j'ai multiplié mes lèvres autour de ton érection naissante en pressant le mouvement de ma langue sur ton frein, je t'ai branlé à deux mains, je t'ai secoué à dix doigts en soufflant ma salive par le trou de ton urètre.  L'huile ruisselait entre mes phalanges tandis que le jour faiblissait à la fenêtre et que ton gland gonflé crevait de solitude comme un stylite au sommet de son tas de merde.  Et je t'ai caressé de la sorte, je t'ai recadré de toute ma science jusqu'à ce que ta bite soit plus ou moins présentable.

Puis j'ai ouvert le briquet et j'ai tout allumé.  Quand la flamme a monté et que les cendres de tes poils ont commencé à voleter tout autour de ta queue incendiée, j'avais l'impression que tu avalais un cri qui n'était plus tout à fait le tien.  À cet instant, n'importe qui aurait pu confondre le son de ta voix avec le meuglement d'une vache dont on aurait coincé les pis dans le tuyau d'un aspirateur industriel. 

C'est à ce moment qu'elle est sortie de la chambre en agitant le petit marteau. Quand tes yeux hallucinés se sont posés sur elle, tu as donné un coup de rein et la table s'est mise à pencher sur le côté droit. Même si elle ne te servait à rien, ta force demeurait impressionnante.  

Je lui ai crié: Ne le frappe pas tout de suite.

Je ne crois pas qu'elle en aurait été capable de toute façon, elle n'était pas encore prête.  Il lui fallait d'abord bien te regarder, n'en pas revenir, coordonner les pulsations de sa haine et de sa stupeur, puis conclure par l'éclair cette danse de la pluie qu'elle exécutait maladroitement autour de ta gueule.

Le feu déjà faiblissait, je devais faire vite.  Alors je suis montée sur la table, j'ai écarté mes grandes lèvres et je me suis abattue sur ta queue enflammée. Puis je lui crié: Maintenant, vas-y, frappe.  Et à chaque fois qu'elle abattait le marteau sur tes dents, ta queue cognait à l'unisson entre mes roses, et ton sperme calciné
refoulait
le feu
au
fond 
de
moi.




J'avais fait une disciple, elle m'était redevable.  Je lui ai dit: choisis ton nom. Elle a réfléchi quelques instants en ravalant ses larmes et en jouant avec ses cheveux, puis elle a dit: Scission, je veux m'appeler Scission. Alors je l'ai ramenée dans la chambre en abandonnant ton cadavre à ses dernières secousses.  Je l'ai couchée sur le lit, je lui ai retiré son slip, je l'ai laissé pleurer sa vie, son âme, sa misère innommable -- qu'en avais-je à foutre? -- et je l'ai léchée toute la nuit durant.





mardi 16 février 2016

Dressages. Carnets de dominance, 3



Je te connais.  Comme tous les mâles que j'ai foulés depuis le commencement des temps, ta psyché est d'une effarante simplicité. Quel que soit le géométral, ton désir le recoupe toujours à angle droit.  

Tu me dégoûtes et je jouis encore de surmonter le dégoût que tu m'inspires.

Je te méprise tellement que je voudrais ne plus m'adresser à toi au «tu».  Te tutoyer est une corvée, la deuxième personne du singulier me pèse quand je suis contrainte de l'utiliser pour te réquisitionner. C'est te faire trop d'honneur que de te personnaliser à travers ce pronom, mais j'ai besoin que tu m'entendes, j'ai besoin que TU ouvres le cul et que TU reçoives en hurlant les éclats de ma cravache
quand 
je 
te 
l'ordonne.





Alors je me replie, faute de mieux, sur la deuxième personne du singulier, mais lorsqu'elle te cible, lorsqu'elle t'atteint, ce n'est jamais que comme la nième variante de la continuité.  

Quand tu m'as imploré de te crucifier la tête en bas, je me suis reprochée de ne pas avoir de clous ni de marteau à ma disposition. Car je t'aurais exaucé, oui, ce jour-là, je me serais déchirée le sexe à deux mains en te regardant couler autour des clous.  Je me suis résignée à te ficeler les chevilles et les poignets sur les planches, et j'ai fait pivoter la roue, je me suis adossée à ton corps renversé, et j'ai immobilisé ta tête au moment où elle passait entre mes cuisses, je t'ai saisi aux cheveux et je t'ai contraint à me lécher jusqu'à ce que tu tournes de l'oeil au fond de mes roses.

Quand tu as repris connaissance, tu étais déjà dans la cage.  Tu m'as suppliée de te libérer, mais je t'ai ignoré, je vernissais mes ongles en silence sans t'accorder la moindre attention, puis j'ai progressivement perdu le compte des jours où je t'ai maintenu emprisonné, sans eau et sans nourriture.

À la fin, tu as pété les plombs.  Tu m'as traitée de salope, de putain, que sais-je encore.  Tu t'égosillais en griffant la peau qui bleuissait sous tes yeux.  Je me branlais à la fenêtre en regardant tomber la pluie.  Tu te déshydratais dangereusement.

Plus tard, quand je me suis assise sur la cage et que je me suis soulagée, tu geignais de reconnaissance en suçant les filets d'urine qui serpentaient autour des barreaux.

C'était si bon de m'entendre appeler déesse
de me revenir enfin par mon nom
à partir de tes lèvres fissurées




mardi 9 février 2016

Le cabinet (feuilleton politique, 9)


Le jour où Philippe Couillard annonça qu’il allait ouvrir un chantier de réflexion sur l’implantation d’un régime de revenu minimum garanti, cela afin de favoriser une transition harmonieuse vers la nouvelle économie et de «maintenir la dignité des gens» dans le processus, ce jour-là, le ciel se déchira au-dessus de la Basilique Notre-Dame.  Plusieurs témoins affirment avoir vu un oiseau de feu percer l’écran des nuages, mais un observateur moins agité se serait sans doute limité au constat suivant : un pigeon pas rapport qui recevait de travers les lueurs du couchant se posa sur le toit de la Basilique qu’il souilla de trois fientes laiteuses avant de reprendre son envol en direction du Vieux Port et de ses effluves de morues crevées.

À cette heure-là, la Basilique était déserte.  La cérémonie des funérailles nationales en l’honneur de René Angélil avait pris fin plus tôt dans l’après-midi, et le cercueil du grand disparu demeurait seul au centre de la nef.  À l’exception de Gregory Charles qui palabrait dans le vide et qui continuait de répondre à la question d’un journaliste qui avait lui-même quitté les lieux depuis longtemps, le silence était à peu près total.  Mais à peu près seulement.  Car là encore, un auditeur plus attentif et dont les nerfs auraient été mis à vif par la proximité de Gregory, conjuguée à celle de tous ces dignitaires qui avaient assisté à la cérémonie et qui s’étaient collectivement ridiculisés en faisant l’éloge d’un homme qui, tout bien considéré, et toute sa vie durant, n’avait pas fait grand-chose d’autre que de raser les bas-fonds de la culture québécoise pour refermer sa mâchoire de requin sur des agrès de pêche que sa vue diminuée et son flair émoussé confondaient avec des sirènes, -- cet auditeur-là aurait juré qu’un grattement discret courait continûment sous le couvercle du cercueil.

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Mélanie gisait complètement nue sur la banquette arrière d’un taxi qui fonçait à toute allure en direction de Montréal.  Elle était assise sur Harjit dont la bite vibrait comme un cellulaire au fond de son wagin, et Harjit lui-même reposait sur Quasithomas dont la queue titanesque lui remontait par le cul jusqu’à l’œsophage.  La face écrasée contre le plafonnier du taxi, Mélanie luisait dans le noir, elle brillait de mille feux sous les fluides et n’en avait que pour le piercing auriculaire du chauffeur qui serrait les dents en reluquant le reflet du dastar de Harjit dans le miroir latéral situé à gauche du véhicule, et qui bûchait à coups de poing sur sa queue bouffie à travers le tissu de son jeans en fixant le reflet des boules de Mélanie dans le miroir latéral situé à droite du véhicule.  (Il ne servait à rien de regarder droit devant: la route n’était que l'écho sinusoïdal d'une hallucination générée par le cri des réfugiés happés en chemin.)

- J’aa trop joui, grogna Mélanie, j’aa toute étourdie…
- Vvvvmmm, ajouta Quasithomas, pourrrvu qu’on n’arrrrive pas en rrrretard aux funérrrrrailles de Rrrrrené…
- Ya, ya, dead sahib anzelil in mountriale good indian tandooli tsikenne!

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Gregory n’était pas fou. Il avait bien perçu le grattement qui provenait de l’intérieur du cercueil, mais il était encore trop tôt pour déterminer s’il allait intégrer cet événement au premier chapitre du premier tome de son autobiographie intitulé Pourquoi je suis mon plus grand fan.

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Quelque part dans la chambre d’un motel situé aux abords du pont Laviolette, Pierre-Karl avait célébré des noces glaciales en compagnie des sœurs David.  À présent qu’elles ronflaient enlacées dans le lit queen et qu’il tirait désespérément sur la chaîne qui le retenait à la tête du lit, il était assailli par des pensées lubriques qui le ramenaient invariablement au cul de Rosita.  Des énigmes érotiques remontaient des profondeurs de son esprit, dansaient comme des bulles dont l’éclatement interrogatif irisait le silence de la nuit d’une touche de démence sud-américaine.  À titre d’exemple: Soit une rose inversée dans ta culotte de jeune hérétique, quoi de l’épine et à quelle fin le pétale dès lors que tout à mes babines je transcende la cuisson de ton clitoris et que je dévore l’étoile qui coiffe la pointe de ton agonie?

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Gregory n’était pas fou.  Il avait bien perçu le geste de la main qui avait repoussé le couvercle du cercueil, mais avant d’avoir pu se demander s’il n’allait pas insérer cet épisode dans le deuxième chapitre du troisième tome de son autobiographie intitulé Pourquoi je suis trop sexy pour mon body, le cercueil versa sur le côté et un René Angélil aux yeux caves et coulants rampa jusqu’aux lampes votives.  Il se hissa péniblement en agrippant la tête du serpent qui agonisait entre les orteils de la statue de la Vierge Marie, puis se mit à marcher, traînant de la patte gauche, en direction de Gregory qui urinait à petits jets dans son pantalon, convaincu qu’il ne servirait à rien de mentionner cet incident dans le vingt-cinquième chapitre du neuvième tome de son autobiographie intitulé Pourquoi je me fais si bien l’amour.

René s’immobilisa, chancelant, à quelques mètres de Gregory, et de sa gueule déflaboxée lui demanda :

- Dein où Dzéline?
- Plaît-il?
- Dein où Dzéline?
- René… c’est…  c’est bien toi?

René siphonna la bouche de Gregory, il la recouvrit d’un immense baiser malade, puis il sortit de la Basilique de son pas claudiquant. 

Quelques heures plus tard, lorsque le bedeau traversa la nef et qu’il aperçut Gregory en train de buller du nez et de baver des oreilles à proximité du cercueil éventré, il le somma de quitter la Basilique sur le champ.  Alors Gregory monta sur le dernier banc de la rangée de droite et se mit à chanter :

You’re here, there’s nothing I fear
And I know that my heart will go on…

Ce fut le premier cas de célinite post-angélitale recensé dans la grande région de Montréal.




lundi 1 février 2016

Le cabinet (feuilleton politique, 8)


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Lorsque Pierre-Karl monta à bord de la Mercedes des sœurs David, la première chose qu'elles lui apprirent, ce fut son divorce d’avec Julie.

- Egade, c’est patout écrit dans les zounaux, avait dit Hélène en lui tendant le Journal de Québec.
- Vous m’en voyez navrée, sincèrement navrée, avait ajouté Françoise en se retournant sur le siège avant du passager, non sans lui expédier un petit clin d’œil lascif au passage.

Il s’en doutait un peu déjà, même si Julie n’avait fait aucune allusion à la chose au moment où elle le bâillonnait dans le walk-in de la suite 809 et que les deux Sophie fronçaient les sourcils en feuilletant le livret d’assemblage du sabot de Vénus.  Julie s’était contentée de lui dire «quein ton astique de pays!», puis elle était sortie de la suite en compagnie des deux autres saboteuses.

Le temps avait passé.  Une semaine?  Un mois?  Chose certaine, lorsque Stéphane D. et l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite avaient fait irruption dans la suite et l’avaient découvert dans cette fâcheuse position, Pierre-Karl jubila et vint bien près de hurler :

Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre!

… mais tout ce qu’il trouva à dire fut «pfpf-pfffp-pffp» du fait qu’il était toujours bâillonné.

Aussitôt libéré, il s’était rué à l’extérieur de l’hôtel, la chemise ouverte et la boucle de son ceinturon toujours pendante.  Privé de portefeuille et de portable, il n’eut d’autre option que de se mettre à faire du pouce et de compter sur une âme charitable pour le lifter jusqu’à Montréal.

Le jour finissait, Pierre-Karl tirait la langue du fond de son être-jeté; il repensait aux aisselles velues de Rosita et boitait dans les bords de son pantalon crotté sur la voie d’accotement de l’autoroute 40 lorsqu’il aperçut au loin une Mercedes qui louchait erratiquement,  bien qu’à vitesse réduite, de la voie de gauche à la voie de droite, puis de la voie de droite à la voie de gauche, et ainsi de suite, contraignant de la sorte les autres véhicules à la dépasser à toute allure en klaxonnant de façon débile.  À travers le pare-brise, Pierre-Karl finit par distinguer la silhouette de deux femmes d’âge mur qui se giflaient en alternance dans le style à-toi-à-moi typique des spectacles de marionnettes qu’on persistait à télédiffuser le samedi matin jusqu’au milieu des années 70 – oui, il se souvenait de ces platitudes recyclées d’un autre temps et dont la magie n’opérait déjà plus du tout à cette époque, atrocités légères que les enfants eux-mêmes enduraient courageusement, faute de réseau Internet, et en présence desquelles ils se laissaient abrutir de bonne grâce, l’œil vitreux et la bouche barbouillée de Quick, entre deux publicités de pudding prolo.

Qu’est-ce qui fait donc chanter les tits Simard?
C’est les tits puddings, c'est les tits puddings
Qu’est-ce qui les fait crier «J’en veux encoooore»?
C’est les tits puddings Lau-ra-Se-coooooooord

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Lorsque la Mercedes se gara dans le stationnement du Motel Le Repaire situé aux abords du pont Laviolette, Pierre-Karl tenta de prendre la fuite, mais Hélène D. anticipa la manoeuvre et freina son élan en lui assenant un prodigieux coup de sacoche dans le front.

- Woyons, mon pitou, prends le pas de meigne... Matante, à va pas te faire mal…  Nein-hein-hein…  Han, Fançoise qu’on va pas y faire mal?
- Monsieur Péladeau, ne vous méprenez pas…  Je sais bien que ce motel ne paie pas de mine, mais comprenez que nous sommes épuisées, nous avons roulé depuis Jonquière, et la traversée du Parc des Laurentides n’a pas été de tout repos…  avec tous ces cadavres de réfugiés syriens qu’il nous a fallu éviter en chemin, vous comprenez bien…   sans compter les débris de l’ex-gouverneure générale coincés entre les tiges des essuie-glace… tout cela est fort éprouvant pour le moral, nous sommes filles d’Outremont après tout, et nous avons…  enfin… j’ai la gauche hygiénique: va pour les bélugas et les petits bains de foule à la sortie du métro Beaubien, mais le mendiant crasseux qui me tend la patte à l'entrée d'une succursale de la SAQ, je ne peux pas le supporter, je ne peux pas, vous comprenez?... c’est… non, je n’en peux plus…  PIERRE-KARL, UNISSONS NOS FORCES, JE VOUS EN CONJURE…  Écoutez-moi…  Nous représentons l’un pour l’autre notre toute dernière chance… Vous souhaitez un Québec souverain et je le désire tout aussi ardemment que vous…  Mais vous voilà bien seul à présent, plus isolé que jamais…  Julie vous a planté là, ce qui signifie qu’à partir de maintenant, vous êtes médiatiquement foutu aux yeux des trois quarts de vos supporters… et quand bien même vous feriez spinner les éditorialistes de Québécor à coups de fouet, ils finiront bien par vous laisser tomber, le vent a tourné, ce n’est qu’une question de temps… Power Corporation ne cessera jamais de vous étriver au sujet de vos placements…  Quant à moi, n’en parlons pas…  Québec Solidaire piétine dans les sondages, nous allons bientôt couler à pic, ce n’est un secret pour personne, et puis…  Vous le dirai-je?  Je n’en puis plus d’Amir et de ses coups de gueule; la nuit, je rêve que des rats lui sortent de la gueule et du cul par milliers, et au matin, lorsque je me réveille, je suis mouillée comme si Tony Accurso m’avait prise en me coinçant contre le gouvernail de son yacht…  mon Dieu, je divague…  Pierre-Karl, écoutez-moi, je ne vois qu’une solution à nos problèmes…  épousez-moi…  je mesure ce que je dis : épousez-moi, que notre union conjugale devienne le symbole de notre alliance politique…  You've got the look, I've got the brains...   Ce sera un mariage de raison, je sais, et alors?  Je ne vous encombrerai pas…  vous pourrez vous taper toutes les femmes de chambre que vous voulez, je fermerai les yeux, jamais je ne vous ferai le moindre reproche, et si vous m’y autorisez, je vous tromperai moi-même quelquefois avec le beau barbu granole de la boulangerie Pain-toé, ne fût-ce que pour apaiser votre conscience et partager nos maladies transmises sexuellement… Oui, marions-nous, et à nous deux, nous aurons ce pays, je vous le jure, nous réussirons là où Lévesque, Parizeau, Bouchard et ce fumier d’Amir Khadir ont échoué…  Dites oui, et ce soir, ici même dans ce motel, contre toute attente, nous donnerons à notre peuple cette impulsion historique qu’il n’attendait plus! 

La lune s’était levée, le vent secouait l’enseigne clignotante du motel, et tout le temps qu'avait duré le discours de Françoise, Pierre-Karl avait écarquillé les yeux comme un enfant qui découvre pour la première fois le vagin de sa petite voisine, mais lorsqu'il ouvrit la bouche, ce fut pour vomir brièvement sur ses propres chaussures.

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Quelques minutes plus tard, Pierre-Karl dégueulait sa vie dans la bol de la chambre d’hôtel pendant que les sœurs David se giflaient à tour de rôle. 

- Bourgeoise!

Klak!

- Naizeuze!

Schlak!

- Courtisane!

Flak!

- Toi-meigne!  Nein-hein-hein…

Plak!

Lorsque Pierre-Karl se posta à la fenêtre après avoir rampé discrètement sous le lit queen, il vit qu’il avait recommencé à neiger.  Tant pis pour Julie, tant pis pour Rosita.  C’était décidé, il épouserait Françoise.

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