mardi 9 février 2016

Le cabinet (feuilleton politique, 9)


Le jour où Philippe Couillard annonça qu’il allait ouvrir un chantier de réflexion sur l’implantation d’un régime de revenu minimum garanti, cela afin de favoriser une transition harmonieuse vers la nouvelle économie et de «maintenir la dignité des gens» dans le processus, ce jour-là, le ciel se déchira au-dessus de la Basilique Notre-Dame.  Plusieurs témoins affirment avoir vu un oiseau de feu percer l’écran des nuages, mais un observateur moins agité se serait sans doute limité au constat suivant : un pigeon pas rapport qui recevait de travers les lueurs du couchant se posa sur le toit de la Basilique qu’il souilla de trois fientes laiteuses avant de reprendre son envol en direction du Vieux Port et de ses effluves de morues crevées.

À cette heure-là, la Basilique était déserte.  La cérémonie des funérailles nationales en l’honneur de René Angélil avait pris fin plus tôt dans l’après-midi, et le cercueil du grand disparu demeurait seul au centre de la nef.  À l’exception de Gregory Charles qui palabrait dans le vide et qui continuait de répondre à la question d’un journaliste qui avait lui-même quitté les lieux depuis longtemps, le silence était à peu près total.  Mais à peu près seulement.  Car là encore, un auditeur plus attentif et dont les nerfs auraient été mis à vif par la proximité de Gregory, conjuguée à celle de tous ces dignitaires qui avaient assisté à la cérémonie et qui s’étaient collectivement ridiculisés en faisant l’éloge d’un homme qui, tout bien considéré, et toute sa vie durant, n’avait pas fait grand-chose d’autre que de raser les bas-fonds de la culture québécoise pour refermer sa mâchoire de requin sur des agrès de pêche que sa vue diminuée et son flair émoussé confondaient avec des sirènes, -- cet auditeur-là aurait juré qu’un grattement discret courait continûment sous le couvercle du cercueil.

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

Mélanie gisait complètement nue sur la banquette arrière d’un taxi qui fonçait à toute allure en direction de Montréal.  Elle était assise sur Harjit dont la bite vibrait comme un cellulaire au fond de son wagin, et Harjit lui-même reposait sur Quasithomas dont la queue titanesque lui remontait par le cul jusqu’à l’œsophage.  La face écrasée contre le plafonnier du taxi, Mélanie luisait dans le noir, elle brillait de mille feux sous les fluides et n’en avait que pour le piercing auriculaire du chauffeur qui serrait les dents en reluquant le reflet du dastar de Harjit dans le miroir latéral situé à gauche du véhicule, et qui bûchait à coups de poing sur sa queue bouffie à travers le tissu de son jeans en fixant le reflet des boules de Mélanie dans le miroir latéral situé à droite du véhicule.  (Il ne servait à rien de regarder droit devant: la route n’était que l'écho sinusoïdal d'une hallucination générée par le cri des réfugiés happés en chemin.)

- J’aa trop joui, grogna Mélanie, j’aa toute étourdie…
- Vvvvmmm, ajouta Quasithomas, pourrrvu qu’on n’arrrrive pas en rrrretard aux funérrrrrailles de Rrrrrené…
- Ya, ya, dead sahib anzelil in mountriale good indian tandooli tsikenne!

……………………………………………………………………………………………………………………………………...........................

Gregory n’était pas fou. Il avait bien perçu le grattement qui provenait de l’intérieur du cercueil, mais il était encore trop tôt pour déterminer s’il allait intégrer cet événement au premier chapitre du premier tome de son autobiographie intitulé Pourquoi je suis mon plus grand fan.

……………………………………………………………………………………………………………………….......................................

Quelque part dans la chambre d’un motel situé aux abords du pont Laviolette, Pierre-Karl avait célébré des noces glaciales en compagnie des sœurs David.  À présent qu’elles ronflaient enlacées dans le lit queen et qu’il tirait désespérément sur la chaîne qui le retenait à la tête du lit, il était assailli par des pensées lubriques qui le ramenaient invariablement au cul de Rosita.  Des énigmes érotiques remontaient des profondeurs de son esprit, dansaient comme des bulles dont l’éclatement interrogatif irisait le silence de la nuit d’une touche de démence sud-américaine.  À titre d’exemple: Soit une rose inversée dans ta culotte de jeune hérétique, quoi de l’épine et à quelle fin le pétale dès lors que tout à mes babines je transcende la cuisson de ton clitoris et que je dévore l’étoile qui coiffe la pointe de ton agonie?

…………………………………………………………………………………………………………………………………................................

Gregory n’était pas fou.  Il avait bien perçu le geste de la main qui avait repoussé le couvercle du cercueil, mais avant d’avoir pu se demander s’il n’allait pas insérer cet épisode dans le deuxième chapitre du troisième tome de son autobiographie intitulé Pourquoi je suis trop sexy pour mon body, le cercueil versa sur le côté et un René Angélil aux yeux caves et coulants rampa jusqu’aux lampes votives.  Il se hissa péniblement en agrippant la tête du serpent qui agonisait entre les orteils de la statue de la Vierge Marie, puis se mit à marcher, traînant de la patte gauche, en direction de Gregory qui urinait à petits jets dans son pantalon, convaincu qu’il ne servirait à rien de mentionner cet incident dans le vingt-cinquième chapitre du neuvième tome de son autobiographie intitulé Pourquoi je me fais si bien l’amour.

René s’immobilisa, chancelant, à quelques mètres de Gregory, et de sa gueule déflaboxée lui demanda :

- Dein où Dzéline?
- Plaît-il?
- Dein où Dzéline?
- René… c’est…  c’est bien toi?

René siphonna la bouche de Gregory, il la recouvrit d’un immense baiser malade, puis il sortit de la Basilique de son pas claudiquant. 

Quelques heures plus tard, lorsque le bedeau traversa la nef et qu’il aperçut Gregory en train de buller du nez et de baver des oreilles à proximité du cercueil éventré, il le somma de quitter la Basilique sur le champ.  Alors Gregory monta sur le dernier banc de la rangée de droite et se mit à chanter :

You’re here, there’s nothing I fear
And I know that my heart will go on…

Ce fut le premier cas de célinite post-angélitale recensé dans la grande région de Montréal.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire