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Lorsque Pierre-Karl monta à bord de la Mercedes des sœurs David, la
première chose qu'elles lui apprirent, ce fut son divorce d’avec Julie.
- Egade, c’est patout écrit dans les zounaux, avait dit Hélène en lui
tendant le Journal de Québec.
- Vous m’en voyez navrée, sincèrement navrée, avait ajouté Françoise en se
retournant sur le siège avant du passager, non sans lui expédier un petit clin d’œil
lascif au passage.
Il s’en doutait un peu déjà, même si Julie n’avait fait aucune allusion
à la chose au moment où elle le bâillonnait dans le walk-in de la suite 809 et
que les deux Sophie fronçaient les sourcils en feuilletant le livret
d’assemblage du sabot de Vénus. Julie
s’était contentée de lui dire «quein ton astique de pays!», puis elle était
sortie de la suite en compagnie des deux autres saboteuses.
Le temps avait passé. Une
semaine? Un mois? Chose certaine, lorsque Stéphane D. et
l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite avaient fait irruption dans la suite et
l’avaient découvert dans cette fâcheuse position, Pierre-Karl jubila et vint bien
près de hurler :
Éternellement en joie
pour un jour d’exercice sur la terre!
… mais tout ce qu’il trouva à dire fut «pfpf-pfffp-pffp» du fait qu’il était
toujours bâillonné.
Aussitôt libéré, il s’était rué à l’extérieur de l’hôtel, la chemise
ouverte et la boucle de son ceinturon toujours pendante. Privé de portefeuille et de portable, il
n’eut d’autre option que de se mettre à faire du pouce et de compter sur une âme
charitable pour le lifter jusqu’à Montréal.
Le jour finissait, Pierre-Karl tirait la langue du fond de son
être-jeté; il repensait aux aisselles velues de Rosita et boitait dans les
bords de son pantalon crotté sur la voie d’accotement de l’autoroute 40
lorsqu’il aperçut au loin une Mercedes qui louchait erratiquement, bien qu’à
vitesse réduite, de la voie de gauche à la voie de droite, puis de la voie de
droite à la voie de gauche, et ainsi de suite, contraignant de la sorte les
autres véhicules à la dépasser à toute allure en klaxonnant de façon
débile. À travers le pare-brise, Pierre-Karl
finit par distinguer la silhouette de deux femmes d’âge mur qui se
giflaient en alternance dans le style
à-toi-à-moi typique des spectacles de marionnettes qu’on persistait à
télédiffuser le samedi matin jusqu’au milieu des années 70 – oui, il se
souvenait de ces platitudes recyclées d’un autre temps et dont la magie
n’opérait déjà plus du tout à cette époque, atrocités légères que les enfants
eux-mêmes enduraient courageusement, faute de réseau Internet, et en
présence desquelles ils se laissaient abrutir de bonne grâce, l’œil vitreux et la
bouche barbouillée de Quick, entre deux publicités de pudding prolo.
Qu’est-ce qui fait
donc chanter les tits Simard?
C’est les tits
puddings, c'est les tits puddings
Qu’est-ce qui les
fait crier «J’en veux encoooore»?
C’est les tits
puddings Lau-ra-Se-coooooooord
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Lorsque la Mercedes se gara dans le stationnement du Motel Le Repaire
situé aux abords du pont Laviolette, Pierre-Karl tenta de prendre la fuite, mais
Hélène D. anticipa la manoeuvre et freina son élan en lui assenant un prodigieux coup de
sacoche dans le front.
- Woyons, mon pitou, prends le pas de meigne... Matante, à va pas te faire mal… Nein-hein-hein… Han, Fançoise qu’on va pas y faire mal?
- Monsieur Péladeau, ne vous méprenez pas…
Je sais bien que ce motel ne paie pas de mine, mais comprenez que nous
sommes épuisées, nous avons roulé depuis Jonquière, et la traversée du Parc
des Laurentides n’a pas été de tout repos…
avec tous ces cadavres de réfugiés syriens qu’il nous a fallu éviter en
chemin, vous comprenez bien… sans
compter les débris de l’ex-gouverneure générale coincés entre les
tiges des essuie-glace… tout cela est fort éprouvant pour le moral, nous sommes
filles d’Outremont après tout, et nous avons…
enfin… j’ai la gauche hygiénique: va pour les bélugas et les petits
bains de foule à la sortie du métro Beaubien, mais le mendiant crasseux qui me
tend la patte à l'entrée d'une succursale de la SAQ, je ne peux pas le supporter, je ne peux pas, vous comprenez?... c’est… non, je n’en peux plus… PIERRE-KARL, UNISSONS
NOS FORCES, JE VOUS EN CONJURE…
Écoutez-moi… Nous
représentons l’un pour l’autre notre toute dernière chance… Vous souhaitez
un Québec souverain et je le désire tout aussi ardemment que vous… Mais vous voilà bien seul à présent, plus
isolé que jamais… Julie vous a planté
là, ce qui signifie qu’à partir de maintenant, vous êtes médiatiquement foutu
aux yeux des trois quarts de vos supporters… et quand bien même vous feriez
spinner les éditorialistes de Québécor à coups de fouet, ils finiront bien par vous laisser tomber, le vent a tourné, ce n’est qu’une question de temps… Power Corporation
ne cessera jamais de vous étriver au sujet de vos placements… Quant à moi, n’en parlons pas… Québec Solidaire piétine dans les sondages, nous
allons bientôt couler à pic, ce n’est un secret pour personne, et puis… Vous le dirai-je? Je n’en puis plus d’Amir et de ses coups de
gueule; la nuit, je rêve que des rats lui sortent de la gueule et du cul par
milliers, et au matin, lorsque je me réveille, je suis mouillée comme si Tony Accurso
m’avait prise en me coinçant contre le gouvernail de son yacht… mon Dieu, je divague… Pierre-Karl, écoutez-moi, je ne vois qu’une
solution à nos problèmes… épousez-moi… je mesure ce que je dis : épousez-moi,
que notre union conjugale devienne le symbole de notre alliance politique… You've got the look, I've got the brains... Ce sera un mariage de raison, je sais, et
alors? Je ne vous encombrerai pas… vous pourrez vous taper toutes les femmes de
chambre que vous voulez, je fermerai les yeux, jamais je ne vous ferai le moindre reproche, et si vous m’y autorisez, je vous tromperai moi-même quelquefois
avec le beau barbu granole de la boulangerie Pain-toé, ne fût-ce que pour apaiser votre conscience et partager nos maladies transmises sexuellement… Oui, marions-nous, et à
nous deux, nous aurons ce pays, je vous le jure, nous réussirons là où
Lévesque, Parizeau, Bouchard et ce fumier d’Amir Khadir ont échoué… Dites oui, et ce soir, ici même dans ce motel,
contre toute attente, nous donnerons à notre peuple cette impulsion historique
qu’il n’attendait plus!
La lune s’était levée, le vent secouait l’enseigne clignotante du motel, et tout le temps qu'avait duré le discours de Françoise, Pierre-Karl avait écarquillé les yeux comme un enfant qui découvre pour la première fois le vagin de sa petite voisine, mais lorsqu'il ouvrit la bouche, ce fut pour vomir brièvement sur ses propres chaussures.
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Quelques minutes plus tard, Pierre-Karl dégueulait sa vie dans la bol de
la chambre d’hôtel pendant que les sœurs David se giflaient à tour de rôle.
- Bourgeoise!
Klak!
- Naizeuze!
Schlak!
- Courtisane!
Flak!
- Toi-meigne! Nein-hein-hein…
Plak!
Lorsque Pierre-Karl se posta à la fenêtre après avoir rampé discrètement
sous le lit queen, il vit qu’il avait recommencé à neiger. Tant pis pour Julie, tant pis pour Rosita. C’était décidé, il épouserait Françoise.
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