dimanche 6 mars 2016

Le cabinet (feuilleton politique, 11)


Dans la limousine qui les ramenait à Ottawa, Margaret Sinclair s’enivrait abominablement pendant que Justin se rongeait les ongles et observait le spectacle des flammes qui léchaient les structures du pont Jacques-Cartier.  À la sortie de l’autoroute Ville-Marie, des réfugiés syriens atteints de célinite post-angélitale s’étaient précipités sur le capot de la voiture en gueulant les paroles de Pour que tu m’aimes encore, ce qui avait enchanté Margaret au point de se coller tout contre son fils et de lui murmurer à l’oreille : Et si tou rhaamenais la loi des mesoures de guerre, just like your daddy… 

Justin n’en pouvait plus.  La situation était critique à plus d’un titre.  Depuis la défenestration de l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite, le contrat de livraison des chars d’assaut était suspendu; Sophie se livrait entre-temps à des actes de terrorisme conjugal en balançant sur le Web des extraits de ses ébats nuptiaux dans lesquels on apercevait Justin couché sur le dos, les genoux ramenés contre sa poitrine avec des épingles à linge de couleur pastel clipées sur toute la circonférence des couilles; Mélanie le trompait avec Harjit qui la trompait elle-même avec Quasithomas qui cocufiait ce dernier avec Mélanie (ce n’était pas un des effets les moins détestables du libéralisme et de ses impératifs de rentabilisation forcenée que d’avoir gâté, de façon sans doute irréversible, les concepts pré-sidéens d’orgie et d’amour de masse tels que Justin les avait apprivoisés à la fin des années 70 grâce au film d’Ilsa, la louve des SS que ses parents lui avaient offert à l’occasion de son neuvième anniversaire), et comme si la situation n’était pas déjà assez désespérée, voilà qu’il apprenait que Maxime Bernier se lançait dans la course à la chefferie du parti Conservateur parce que, selon la rumeur, il aurait bêtement confondu sa fermeture éclair avec celle d’un Hell’s Angel qui pissait à ses côtés dans quelque bar miteux de la basse Beauce.

- Justunne, darling…
- Maman, je t’en prie…
- Justunne, fais-moi une phrase avec mouton.

Dieu merci, Stéphane s’était démené dans les coulisses, et si le pauvre n’avait toujours pas récupéré son anus, c’est tout de même à lui que Justin devait l’idée géniale d’approuver stratégiquement la motion conservatrice proposant de condamner le mouvement de boycott à l’endroit d’Israël.  À tout le moins cela lui avait-il permis de montrer qu'il ne s'en laisserait pas imposer par les islamistes radicaux qui taillaient de saintes pipes aux rois du pétrole.  Comme son père le lui avait souvent répété, la politique internationale au Moyen-Orient consistait toujours, peu ou prou, à naviguer entre deux ou trois gangs de rue schizothéistes qui sniffaient des lignes de bible et se lançaient des bombes à la sortie de l’école.

- Justunne, please, fais-moi une phrase avec mouton.
- Mamaaaaan…
- Il est mou ton graine, ark-ark-ark-yuuuuuuuckkkk-k-k-k…

Et voilà que Margaret s’étouffait à nouveau.  Le docteur lui avait pourtant recommandé d’éviter les blagues grivoises, les jeux de mots douteux, enfin toutes ces facéties qui lui passaient par la tête dès qu’elle avait pris un coup de trop et qui la faisaient s’esclaffer jusqu’à l’asphyxie.  Justin lui frotta doucement le dos.

- Maman, tu dois te détendre…
- I know what you think… that I am a whore and all…  mais tou sais, back in the days, j’étais un pétard, I was a firework…  You should ask Jagger…  dans le stoudio fifty-four, Mick was so damn cool…  j’avais toutes ses babouines under my…
- Maman, on ne dit pas babouines, mais babines…  Et puis ça fait mille fois que tu racontes cet épisode,  un peu de retenue je te prie…
- Bouhouhou, you’re so rude, tou es zzzzzactly comme ton daddy… et uncle fucker… tou ne m’aimes plous…
- Uncle fucker?
- Oui!  Jean Chrétchien!  Bouhouhou…

Justin ne pouvait supporter l’idée de sa mère en larmes jusqu’à Ottawa.  Il prit son cellulaire et balaya du pouce le fil d’actualité.  Le Hufftington Post annonçait la circulation virale d’une nouvelle capsule scandaleuse de Sophie : cette fois, on apercevait Justin en tenue de boxeur, l’œil gauche tuméfié, le maillot abaissé aux genoux, et giclant à pleine queue sur la console du lave-vaisselle au moment où une adolescente philippinoise lui décochait un direct de la droite.  Inconsolable, Margaret ouvrit le bar de la limousine et se versa un autre verre de gin.

- Tou ne m’aimes plous…  oh God do I feel like shit…
- Aaaah, maman, arrête, tu sais bien que je t’aime!
- C’est vrrwai?  Oooh darling, tou m’aimes for real?
- Mais oui, mais oui…
- Alorws, fais-moi une phrase avec maloutrou.
- Malotru, tu veux dire?
- Yes, maloutrou.
- Bon, ça suffit, tu vas me faire le plaisir de lâcher ce verre et tu vas…
- Je ne poux plous fairwe l’amour parce que j’ai maloutrou, ark-ark-ark-yuuuck-k-k-k…

*

Au coin d’une rue, l’angoisse, une angoisse sale et grisante, décomposa Coderre Grospetit (peut-être d’avoir compris que sévir contre les salons de massage s’avérait finalement plus complexe que prévu).*

Plus tard, lorsque l’hôtesse vietnamienne se coucha sur un matelas posé à même le sol et retira son slip, le maire glissa sur le ventre, ajusta ses lunettes et posta son pif à deux centimètres du sexe de la fille. 

- Il est temps de serrer les freins à mon projet de loi, et de m’arrêter, un instant, en route, comme quand on regarde le vagin d’une femme**

Coderre Grospetit ne savait pas encore s’il allait le toucher, le lécher, le mordre ou cracher dedans.  Il inspira à fond, s’imprégna de cette odeur de quenouille râpée qui lui rappelait les relents d’aisselles de sa maman lorsqu’elle se postait à quatre pattes pour récurer le fourneau.
 
La tête lui tournait de sombrer dans le non-savoir et sa queue craquait au contact du plancher glacé.  Jamais encore il n’avait observé d’aussi près une fleur dont les pétales se déficelaient en temps réel avec un tel effet de présence.

La sueur lui coulait dans les yeux.  Alors Coderre Grospetit retira ses lunettes, serra les dents et s’adressa en ces termes au vagin mi-clos de la pute vietnamienne :

- Tu es creux comme un nid de poule, rose et brun comme de la crème à glace napolitaine, tu me fais bander comme un jambon joli, mais donne-moi une raison, une seule bonne raison de ne pas mettre un cadenas dans la porte de tous les salons de massage de Montréal, stidciboledecrisse-d’outreteton.

La fille gémit faiblement, et à la plus grande surprise de Coderre, son clitoris zombifié émergea de la nuit à la cîme des petites lèvres et lui dit:

- Dein où Dzéline?

Mais avant qu’il ait pu répondre, crier ou battre en retraite, le vagin enveloppa la tête de Coderre Grospetit qui se mit à gigoter des quatre membres et à bondir sur sa propre bedaine comme un blanchon qui cherche à gagner le trou d’eau avant que la pique ne s’abatte sur son crâne.  Lorsque le silence revint, peu après que le filet de pisse eut serpenté jusque sous la porte de la chambre, la masseuse vietnamienne chanta doucement : Fallait pas commencer, m’attirer, me toucher-éééé.

*En mi-Bataille dans le texte

** En mi-Lautréamont dans le texte





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